Il faisait encore nuit lorsqu’Anaëlle atteignit les plaines d’Azrith. Une nuit glaciale et où l’obscurité prédominait d’une étrange façon. Elle vous enveloppait en se collant contre votre peau, rongeait de froid vos os et semblait aussi indissociable de ce lieu que l’habit enfilé jour après jour par la Mord-Sith. Anaëlle s’arrêta en dévisageant le panorama infini qui s’étendait devant elle. On ne pouvait pas le voir, juste entendre les cris bestiaux qui montaient dans l’air, fouler le sol rocailleux qui se changerait bientôt en herbe. Elle pila tout de même en posant l’arc rouge carmin qui pendait dans son dos sur le sol. Soupir. C’était la troisième fois depuis son départ du Palais du Peuple qu’elle répétait la même opération. Cela devenait lassant mais d’autant plus obligatoire. Elle se s’obligeait, mesure de sécurité.
Une main vola jusqu’à son mollet. Quelques doigts entrouvrirent une doublure du cuir en prenant soigneusement la chainette d’or qu’elle dissimulait. Excitation fébrile. Depuis si longtemps qu’elle n’avait pas vu de sang… C’était un manque de tortionnaire, de petit chien sous sa joue. Même ce prophète idiot qu’elle avait amené à son seigneur n’arrivait pas à tenir plus de deux séances de suite. Elle attendait généralement. D’autres fois, elle ne résistait pas et continuait de le faire souffrir jusqu’à ce qu’il perdre conscience. Sa main pâle attrapa la langue de cuir rouge qui se balançait sous la chaîne.
Morsure.
Douloureuse morsure.
Elle remonta hâtivement sa manche droite et appliqua vite fait l’Agiel dessus.
Le sommeil, la fatigue et l’ennui fuirent sous la douleur. Une lucidité retrouvé qui fit s’écarquiller ses grands yeux verts. Douloureux et si délicieux !
L’Agiel tourbillonna dans sa main sans entailler sa chair pendant une dizaine de minutes. Ces scarifications au creux du coude guérirai vite. Dommage. Son odora se délecta un instant du sang avant qu’une dernière lance électrifiée se propageait dans son poignet. Le bijoux de sa profession et de sa vie avait retrouvé sa place. Il attendait sagement que sa maîtresse ne veuille l’utiliser. Il attendrait encore certainement une saison. Autre soupir. De rage. Elle voulait s’amuser !
Au lieu de ça, elle recommença à marcher en tenant la lanière de son carquois.
Ses jambes avançaient seules, son esprit vagabondant milles lieues plus loin.
Pourquoi était-elle venue ici ?
Les souvenirs ? Non, les souvenirs de son père la faisait vomir. L’envie du voyage ? Peut-être…
Juste à cette pensée, un cri déchirant perça le silence. Un garn !
A queue courte si elle ne se trompait pas. Un immense sourire se dessina sur ses traits.
Le plaisir ! Voilà pourquoi elle était là ! La chasse était une autre passion que celle qu’elle partageait avec ses sœurs. Le garn se rapprochait et à en croire par ses puissants coup d’ailes, il n’était vraiment pas loin. En quelques secondes, l’arc revêtant la même couleur que sa combinaison sang était méticuleusement bandé. Une longue flèche de teinte identique collée sur la joue, Anaëlle balaya le ciel qu’elle ne voyait qu’avec peine de ses prunelles absinthes sombres. « Flop flop ». Où était-il ?
Un mouvement brusque sur sa gauche lui indiqua clairement sa position. Il atterrissait ? La Mord-Sith poussa un éclat de rire. Ce serait plus drôle au corps à corps ! Une mouche à sang l’attaqua au cou en se faisant suivre par ses camarades. Sa flèche partit, immédiatement remplacée par une autre.
Le garn tendit le cou en lui mordant le haut du crâne. Flexion !
Ses dents acérées n’attrapèrent qu’une longue mèche de cheveux noire.
Son arc ne lui servirait à rien. D’un geste elle le jeta au sol en ressortant son Agiel. Ce dernier n’avait pas eu le temps de sécher à cause du sang frais qu’elle avait récemment versé.
Tant pis !
Une aile sertit d’une longue griffe lui entailla l’épaule. Les mouches à sang vinrent se coller sur la plaie en produisant un horrible bruit de succion. Beurk.
La Mord-Sith pivota en balayant de son arme magique sa propre épaule. Deux fois plus de douleur mais une dizaine de mouches mortes. C’était au moins ça. La bête poussa un hurlement effroyable en se jetant sur elle. Energie circulant jusqu’à ses doigts, son Agiel, brûlant ses veines, sa lucidité et s’enfonçant dans le torse de son agresseur. Il tomba vers l’arrière en s’effondrant lourdement.
Son arme chérie était toujours efficace bien utilisée. Elle n’avait même pas eu le temps de bien s’amuser. Certaines mouches à sang encore vivantes quittèrent le torse du cadavre en s’envolant. Elles trouveraient un autre hôte !
Anaëlle grimaça en dévisageant la blessure de son épaule. Cela piquerait un moment.
Bah, elle s’en fichait finalement. Qu’elle Mord-Sith n’avait pas connu pire ?
Ses flèches récupérées, elle en jeta quelques unes beaucoup trop abimé. Savez-vous comment elle leur donnait cette couleur si particulière ? Une fois par mois, son petit chien actuel servait pour autre chose que pour son contentement. Le liquide bordeaux s’écoulant de ses plaies faisait office d’une merveilleuse teinture !
Elle se pencha rapidement et récupéra son bâton-lanceur en gardant son Agiel à la main. Au cas-où... Il faudrait qu’elle court pour retourner le lendemain au Palais du Peuple. Certes !
Avec une allure régulière et élancée, ses pas la portèrent en une demi-douzaine d’heures à la lisière d’une épaisse forêt. Étrange. Elle n’en avait jamais vu dans les plaines. Un de ses sourcils s’arqua.
L’air et le soleil était étouffant. Contrairement à cette nuit, il faisait une chaleur à s’en damner.
Mais il faisait beaucoup trop lourd. Une placidité qu’elle connaissait très bien. Oh oui !
De la magie ! De la magie puissante si elle en croyait son expérience. Un sorcier de premier ou second ordre à n’en pas douter. Un sentier à moitié effacé serpentait devant elle. Elle voulait du l’action ? Autant aller la chercher ! Arme au point, elle dégagea ses cheveux pour qu’ils ne gêne pas l’identification de son statut et avança rapidement. Il ne lui fallut pas longtemps pour repérer celui qui avait dresser ses barrières. Un homme, où plutôt un sorcier, était dans la tranchée du chemin, perché sur une branche massive. Un sourire insolant trônait sur son visage et l’impression qu’il sortait d’une sieste était si importante qu’elle fut certaine qu’il devait être d’une longévité exceptionnelle. Seuls ceux là ne s’inquiétaient pas.
Les lèvres de la jeune femmes s’étirèrent sadiquement.
Sourire cruel.
Agiel en vue.
- Ah, enfin un divertissement. Dîtes moi cher sorcier, un poste de serviteur payé de votre sang ne vous intéresse pas ? Mon Maître aurait bien besoin d’une autre source d’énergie !